André Bay, vu de ma fenétre.

Par Didier BAY 08.09.2016
Dans son nomadisme restreint, la grande banlieue et Paris, mon pére a développé une pratique immuable et indifférente aux lieux de vie qui consistait à envahir les murs de peintures et d'étagéres en agloméré qui dessinaient des arcs de cercle en guirlandes sous le poids des livres.
Le site Arts-bay est une étagére au milieu du rien du grand tout.
Comme je le fais pour moi-méme, j'aide mon pére à y monter une guirlande à partir d'éléments disparates entre la vitrine de la sociabilité de surface et le vide-poche du tout venant glané au hasard du quotidien.
La date anniversaire du centenaire de sa naissance est un pretexte comme un autre à tresser des guirlandes.
Pourtant cette période, 1916-2016, renvoi à une dimension temporelle historique difficile à saisir dans le cours des évolutions de tous ordres intervenus durant ce siécle écoulé où mon pére témoin et acteur a tenu un role relativement stable, peu perméable aux changements.
J'aurais aimé le voir s'initier à l'ordinateur dans les années 2000 pour qu'il puisse jouir de ces facilités à manipuler du texte, mais aussi des images, ces deux éléments qui ont construit son quotidien plus particuliérement dans le contexte de la "littérature".
Hélas aborder en son temps la machine à écrire a été un procéssus différé par le fait que ma mére, Odette, pouvait transposer ses manuscrits en tapuscrits et qu'à l'époque de son avénement cet outil était connoté secrétariat et non écrivain, c'est à dire tache secondaire et non outil de création.
Technologiquement ses facultés s'arrétaient au clou et au marteau (par nécéssité: les guirlandes).
 
Jongler avec une télécommande suscitait la crainte légitime et avérée de tout dérégler. Programmer un enregistrement n'était pas envisageable. Lire un mode d'emploi hors de porté car l'imaginaire convoqué était à l'opposé de toute connotation littéraire.
Parfaite caricature d'une notion péjorative de l'intellectualisme dés qu'on aborde des manipulations pratiques selon des protocoles d'emploi.
Les intellectuels partagent volontiers ce syndrome avec le citoyen français. Ca n'est pas une exclusive nationale mais notre culture livresque, litteraire, si peu pragmatique et expérimentale qui semble prédisposer à ce syndrome/formatage d'incapacité invalidant comme j'ai pu le constater dans ma génération et les suivantes.
Bref ce siécle là mon pére ne l'a pas attaqué avec une dextérité intuitive exploratrice, et en est résté là.
Il n'a donc pas eu l'occasion de se familiariser à un clavier, comme sa mère Camille Belguise (mamette) pourtant l'a fait... faisant son propre secrétariat d'écrivaine.
De tous temps André et mamette ont eu une correspondance parfois quotidienne, notamment pendant la guerre. Ca tenait du tweet diariste avant la lettre. Avec le décalage dans le temps d'une poste aléatoire les lettres se croisaient sans attendre de réponse, soulignant ainsi qu'en fait chacun s'écrivait à lui-méme sur le pretexte de l'autre. Effet miroir habituel de l'écriture où l'épistolaire n'est qu'une variante, ici affective, particuliére pour deux individus familiers des notes et phrases définitives de "l'oeuvre" litteraire constamment en devenir sinon en cours.
C'est pourquoi et en quoi la couverture des murs par des toiles supposant une intervention manuelle/mentale restera son terrain d'aventure selon des critéres passéistes, mais les seuls qu'il était capable d'aborder, tenter de s'approprier à une époque où le regard intellectuel était le seul à pouvoir produire un discours sur l'art (Le discours de l'art). Notamment avec cette mixion, dés lors bien logique, du surréalisme donnant le pouvoir de création "artistique" aux intellectuels.
(Entre-temps les historiens d'art ont pris le relais du discours de / sur l'art mais sont actuellement débordés par la gestion globalisante du produit culturel produisant un discours commercial emphatic, amphigouric et infatué tentant de nous initier aux merveilles de la création pour bizounours. Débilité d'une religiosité commerciale. Idéologie de consommation tous azimuts.)
Il tata sa vie durant de cet héritage surréaliste, insistant, sur le tard, sur le blanc, cette séduisante quintescence supposée de tout et de rien. Religion com une autre, sans doute plus discréte que celles du consumérisme et du nihiliste islamisme omniprésents. (medias oblige. Hélas.) Derives Blanches

 

                                                                                                                                                               © Didier BAY 08.09.2016